Newsletter 5, décembre 2022
Discussion avec Saïd Bouhallab

Saïd Bouhallab est directeur de recherche INRAE au laboratoire Science et Technologie du Lait et de l’Œuf (STLO) à Rennes. Il est un membre assidu et passionné de la communauté SLAMM.

. Quelle est votre formation et votre parcours scientifique ? Comment est né votre intérêt pour les approches physiques de type ‘matière molle’ ?

Après une maitrise (M1) de Biochimie et un DEA (M2) en Pharmacologie moléculaire, j’ai opté pour une thèse dans un laboratoire de chimie bio-organique du CNRS (CERCOA, Thiais) qui développait des recherches notamment sur les antibiotiques en alliant, chose rare à l’époque, la biochimie fondamentale, la chimie organique et la biologie (un peu loin de la physique ? pas tant que cela, sic). Ce choix m’a été inculqué par les cours fascinants des Professeurs Jean Bernard Le Pecq (spécialiste des intercalants de l’ADN, drogues anti cancer) et François Le Goffic (expert en chimie organique et de synthèse). La question de recherche de ma thèse sous la direction de F. Le Goffic était de déterminer comment des molécules d’antibiotiques, de la famille des pristinamycines, agissaient en se fixant sur le ribosome bactérien, la machine cellulaire à synthétiser les protéines. Nous avons pu mettre en évidence que ces antibiotiques modifiaient spécifiquement deux protéines ribosomales la L24 de la sous-unité 50S et la protéine S14 de la petite sous-unité 30S du ribosome. C’est là qu’est née ma passion pour les protéines et leurs interactions entre elles et avec différents ligands.

Ceci a été confirmé par un post-doc court chez ex Roussel-Uclaf (industrie pharmaceutique, actuellement groupe Sanofi-Aventis) où j’ai travaillé sur les interleukines recombinantes puis à l’INRA où j’ai développé plusieurs projets sur les protéines et peptides vus sous les angles technologie, procédés et fonctionnalités. Le début de ma carrière était un peu plus chimie-biochimie que physique physico-chimie.

C’est au travers des procédés, et en collaboration avec le LGC de Toulouse (notamment avec Pierre Aimar, que je salue ici très amicalement et à qui je souhaite une heureuse retraite) que j’ai commencé à intégrer les notions de physique de la matière molle dans mes approches. L’orientation de mes travaux et ceux de mon équipe vers la structuration des protéines alimentaires au cours des années 2000, combinée au montage d’une équipe transverse avec l’IPR, ont révélé chez moi et à plusieurs chercheurs de l’équipe un intérêt pour ce type d’approche (outils et concepts) pour répondre à nos propres questions de recherche autour de la transformation des biomolécules.

. Quels ont été et quels sont les apports fondamentaux des concepts et outils des sciences de la ‘matière molle’ à vos recherches passées et actuelles ?

Comme mentionné précédemment, les bases de l’introduction de ces concepts et outils dans nos problématiques ont été initiées il y a une vingtaine d’années avec le montage d’une collaboration autour des propriétés des protéines alimentaires entre mon équipe et celle d’Anne Renaud, physicienne au CNRS qui a constitué une équipe à l’Université Rennes 1 sur les interfaces. Cette collaboration, élargie plus tard à de nombreuses thématiques, est à l’origine de nos liens forts actuels avec l’IPR. La mise en évidence de la coacervation complexe hétéro-protéique (séparation de phase liquide-liquide) dans le cadre de la thèse de Michaël Nigen a constitué un tournant dans mes approches de biochimiste. J’étais convaincu de la nécessité de renforcer les liens avec la communauté des physiciens de la matière molle pour aller plus loin dans la compréhension des propriétés et fonctionnalités de nos assemblages. J’ai ainsi développé d’autres collaborations dont celles avec le CEA Grenoble, BIA Nantes, Université de Lund en Suède et l’UBS à Vannes. L’introduction des concepts et outils de ces sciences constituait ainsi un moyen d’avoir des leviers pour piloter les interactions et innover dans la formulation des assemblages pour des applications ciblées.

Ce qui me passionne dans ces approches interdisciplinaires est le fait d’observer des structures, leur dynamique et leur organisation à une échelle microscopique (forme, taille, alignements) et de tenter d’expliquer les mécanismes intimes de leur genèse par (i) des études expérimentales aux échelles nanométrique et moléculaire en mettant en œuvre des techniques qui permettent d’avoir accès aux changements de structures et aux constantes thermodynamiques d’interaction (calorimétrie, dialyse, fluorescence), (ii) la recherche de généricité par l’application de modèles des sciences des polymères et colloïdes.

S’agissant des biomolécules, la recherche de généricité des processus est cependant un vrai challenge. On peut assimiler certains objets à une simple sphère pour appliquer des modèles décrivant son comportement. En même temps, nous savons que toutes les protéines ne sont pas identiques, et encore moins des ‘’colloïdes comme les autres’’ ! la substitution d’un seul parmi les 150-250 acides aminés composant une protéine de taille moyenne peut complètement bouleverser son comportement en solution en termes d’interactions avec les autres molécules environnantes, d’auto-assemblage, de séparations de phases, etc.

. En tant que chercheur INRAE, quel est votre regard sur le GdR SLAMM ? En quoi une structure de ce type contribue-t-elle à répondre aux enjeux scientifiques de l’INRAE ?

Ce que je trouve formidable dans cette communauté inter et pluridisciplinaire est la possibilité de partage des visons complémentaires et multi angles (sans jeu de mot) sur un même objet de recherche. Par exemple, comment un complexe nanométrique organo-minéral, appelé micelle de caséines, est vu par les physiciens, les physicochimistes ou les spécialistes des sciences des aliments. C’est vraiment fascinant. Un enrichissement mutuel basé sur les visions disciplinaires des uns et des autres.

Maitriser la formulation et la structuration multi-échelle des objets de complexité variable pour des applications alimentaires et non–alimentaires est un enjeu majeur pour INRAE et plus spécifiquement pour le département TRANSFORM. La structuration multi-échelle des systèmes complexes est une question partagée par plusieurs secteurs économiques et est clairement affichée comme un des objectifs dans le document de demande de renouvellement du GDR. C’est donc un lieu de ressourcement pour nos thématiques à INRAE.

. Nous vous savons convaincu que le GdR est d’une importance toute particulière dans la formation de jeunes chercheurs, doctorants et post-doctorants ? De quelle(s) manière(s) ?

De plusieurs manières. Tout d’abord par une confrontation à d’autres générations, à d’autres manières de penser, de raisonner, de voir ‘’les objets de recherche’’. La recherche est faite en grande partie dans nos laboratoires par ces jeunes chercheurs. Au quotidien, ils discutent certes avec leurs encadrants mais passent ensuite beaucoup de temps à réaliser les expériences… et parfois en ‘’galérant’’ (ça ne marche pas toujours !!!). Ces rencontres sont des moments exceptionnels qui font saisir l’origine et le pourquoi des hypothèses formulées ou de la stratégie de recherche adoptée à un moment donné. Deuxièmement, c’est un lieu de découverte d’autres sujets et approches que l’on pensait loin des préoccupations personnelles mais qui ne le sont finalement pas forcément, ce qui renforce les compétences transversales. Enfin, c’est une communauté ouverte pour établir des contacts pour une plus large ouverture de son sujet de recherche du moment mais aussi pour l’étape d’après. C’est aussi tellement convivial… ce qui facilite l’exposé des problèmes rencontrés au quotidien.