Newsletter 4, juillet 2022
Discussion avec Martine Meireles

Martine Meireles est directrice de recherche au CNRS (LGC Toulouse). Elle est à l’initiative des GdRs PROSURF et AMC2, eux-mêmes précurseurs de SLAMM.

. Quel est votre parcours ? Comment est né votre intérêt pour les sciences de la ‘matière molle’ ?

Après un diplôme d’ingénieur et un DEA en génie chimique, j’ai préparé une thèse de doctorat financé par une filiale de Rhône Poulenc sur la concentration de protéines sériques par ultrafiltration. Adsorption, dénaturation, agrégation, déjà des problématiques de matière molle, et l’arrivée du premier instrument de diffusion de lumière statique au laboratoire : une boite blanche qui remplissait la moitié d’une paillasse avec un écran grand comme une carte postale.

Ensuite, traversée de l’Atlantique nord, direction University of Kentucky, pour un post-doc sur la stabilité d’aérosols chargés en régime d’évaporation. Je conduis des expériences sur une goutte unique en exploitant l’évolution temporelle des spectres d’intensité de lumière diffusée à différents angles pour établir l’évolution de sa taille. On essaie de quantifier ce qui provoque sa rupture brutale lorsqu’elle atteint une taille critique : la compétition entre tension de surface et répulsion électrostatique entre charges de surface. Je suis avec joie l’explosion de dizaines et dizaines de gouttes dans de superbes effets corona mais jamais rien de quantitatif et surtout de reproductible ! Et puis si j’ai accès à un équipement de premier plan, dont un laser multi-spectral, qui remplit une pièce de 30 m2…il faut le partager par shifts de 8 heures avec les MSc et PhDs qui triment dur pour décrocher leur diplôme…mais je ne prendrais pas les shifts de nuit, there’s a bun in the oven !

Je suis recrutée chargée de recherche au CNRS l’année où l’académie Nobel distingue un brillant physicien français, P.G de Gennes. Au laboratoire de génie chimique à Toulouse je démarre un projet de recherche dans la continuité de ma thèse en collaboration avec des industriels de l’industrie pharmaceutique, et toujours pour ultrafiltrer des solutions de macromolécules qui ont la fâcheuse tendance à faire des gels collants.

Quelque temps après, je rencontre Bernard Cabane qui me parle de diffusion de neutrons et d’assemblages de protéines. Il travaillait alors sur les interactions protéines-salive. Il me demande sur quoi portent mes recherches et quelles sont les questions irritantes. Je le questionne sur la diffusion de neutrons et sur les grands instruments. Il me propose de participer à des expériences… je découvre alors D11 et l’immense hall de l’ILL ! Et c’est magique, l’adrénaline des shifts (cette fois je ne renâcle pas sur les shifts de nuit), les discussions sur tous ces systèmes : protéines, argiles, nanoparticules, émulsions à la fois si différents et si ressemblants. Avec plusieurs doctorantes, doctorants et post-doctorants pendant une douzaine d’années, nous allons filtrer, concentrer et sécher des dispersions de nanoparticules de toutes sortes en cherchant comment leur structuration à grande et méso échelle, peut modifier le transport d’eau à travers les dépôts ou les phases concentrées.

. Parmi vos travaux, lesquels illustrent le mieux cette volonté d’allier génie des procédés, physicochimie, et physique de la matière molle ?

Après une décennie de filtration, compression et spectres RX sur des dispersions dites modèles (!) : Ludox, Laponite, oxyde de zircone, un contact industriel m’interroge sur la formation d’un gel collant sur des toiles de filtration au cours d’un procédé hydrométallurgique. La composition minéralurgique de la solution de lixiviation du minerai traité est effroyablement complexe mais un élément va retenir notre attention. A très forte acidité la solubilité de la silice est faible et nous comprenons grâce aux spectres de diffusion RX aux petits angles qu’elle précipite sous la forme de chaînes enchevêtrées. C’est probablement l’explication du « blindage » des toiles de filtration. Avec Kevin Roger, nous testons un protocole qui consiste à basculer séquentiellement le pH pour privilégier la formation d’un type de structure moins colmatant pour la filtration : des agrégats de nanoparticules de silice. Une première transposition dans les conditions identiques à celle du procédé indique un temps opératoire réduit d’un facteur cinq et la possibilité de traiter des solutions beaucoup plus concentrées soit au final des économies d’eau et d’énergie.

. De 2006 à 2017 vous avez dirigé et animé un GdR (PROSURF ensuite renommé AMC2), dont SLAMM est le successeur direct. Quelle(s) évolution(s) avez-vous constatée(s) au cours de ces années ? Quelles thématiques et/ou principales collaborations avez-vous vu émerger ?

Le GDR CNRS « Structuration, Consolidation et Drainage de Colloïdes » a été créé en 2006, il est devenu en 2010 « Approches Multi-physiques pour les Colloïdes Concentrés » qui a préfiguré SLAMM. Il y avait cinq équipes à l’origine de la constitution de ce premier réseau. C’était peu pour un réseau national mais nous étions convaincus par l’intérêt d’une démarche de décloisonnement entre physiciens et physico chimistes de la matière molle et chercheurs en génie des procédés. La diversité des secteurs et des problématiques était en grande partie à l’origine de la faible dissémination des travaux entre « communautés » souvent centrées sur une discipline, un secteur d’application spécifique, parfois une opération unitaire.

Au fil du temps, grâce au soutien toujours renouvelé du CNRS, la taille du réseau a crû significativement, par agrégation des centres d’intérêt et par foisonnement des questionnements. Avec SLAMM, l’INRAE a officiellement rejoint le CNRS dans le co-portage de ce réseau. De fait, plusieurs collègues de l’INRAE participaient déjà aux journées annuelles de AMC2 mais là c’est bien officiel et de plus la mayonnaise a bien pris entre les équipes ! J’en veux pour preuve les toutes récentes sessions sur la ligne SWING du synchroton SOLEIL où près d’une dizaine d’équipes de SLAMM se sont retrouvées dans le cadre d’un accès partagé.

SLAMM comme tout GDR reste un système dynamique où les thématiques et les collaborations évoluent en fonction des rencontres et des discussions. Certaines thématiques comme le séchage ou la filtration dont il fut beaucoup question dans AMC2 ont un peu laissé la place à la coacervation, à la rhéologie de fluides complexes, au comportement des mousses. Elles reviendront peut-être. Je crois que dans un GDR comme SLAMM, il vaut mieux ne pas figer les thématiques et laisser tout un chacun donner son avis sur le questionnement des autres.

. Selon vous, quelle est l’utilité d’un GdR ?

Je pense que c’est très important et encore plus dans la période actuelle de maintenir des réseaux de collaboration nationaux. C’est important pour le décloisonnement de la science, pour la formation des plus jeunes et des plus vieux (!), pour développer et enrichir un raisonnement en bénéficiant des avis critiques de collègues de confiance. Par exemple avant de soumettre un article dans un journal à fort impact ou de préparer sa carrière d’après-thèse. J’espère que les instances CNRS et INRAE en sont tout aussi convaincues et qu’elles renouvelleront leur soutien au GDR SLAMM. Participer à un GDR tel que SLAMM c’est toujours une opportunité de rencontrer et de participer à la communauté « matière molle » et une occasion formidable de découvrir des scientifiques passionnés et passionnants.