Newsletter 2, juin 2021
Rencontre avec François Boué

François Boué est directeur de recherche au CNRS et membre du GdR SLAMM depuis sa création. Il a accepté de répondre à nos questions et de partager avec nous quelques réflexions et perspectives.

. Comment a débuté votre parcours de physicien ? Le domaine de la ‘matière molle’ vous a-t-il immédiatement séduit ?

Après un DEA d’optique quantique avec Cohen-Tannoudji, mon premier projet de thèse était sur le second son dans l’hélium, mais je n’étais pas trop dans la ligne… Bref, j’ai franchi le périphérique pour visiter le Service de Physique du Solide du CEA à Saclay. Gérard Jannink, par sa modestie et son humanité, m’a moins fait peur que les équipes de RMN, et a su m’attirer vers la diffusion de neutron et les polymères pour un stage.

Ce qui m’a finalement « séduit » ? c’est que les formulations pour la mécanique quantique, puissent se combiner avec une physique plus tactile pour décrire une réalité bien plus proche mais semblant très compliquée pourtant. Un peu aussi le cours de de Gennes sur l’hydrodynamique, les lois d’échelle, puis enfin l’adrénaline des grands instruments et l’étonnante diffraction des neutrons.

Quelles ont été les grandes évolutions de votre carrière ? Chercheur CNRS, qu’est-ce qui vous a poussé à travailler en lien étroit avec l’INRAE?

Mon premier sujet était vaste (à la Jannink !) : la conformation statistique d’une chaîne polymère soumise à une contrainte : mécanique, mais cela pouvait aussi être électrostatique. J’ai fait les deux : 1/ dans les polymères fondus étirés, puis extension aux caoutchoucs, gels, et nanocomposites, et 2/ polyélectrolytes, puis extension aux biopolymères et protéines. De 1/ et 2/, des gels de biopolymères nous sont venus, sur les faisceaux du LLB, depuis l’INRAE-Nantes avec des visiteu-r-se-s de marque…

Peut-être là encore le fait de pouvoir étendre une physique qui devenait mature, cette fois à des nouveaux objets biologiques, sans tomber dans la très délicate « biomol » est ce qui m’a poussé vers ces systèmes, un peu plus robustes, mais beaux aussi, avec en prime des quantités suffisantes pour les mesures, et l’impression d’être utile pour un besoin universel : l’alimentation. Même si l’alimentation s’industrialise, inévitablement, autant pouvoir orienter le processus le plus rigoureusement possible.

. Quelle découverte / travail scientifique vous a apporté le plus de satisfaction au cours de ces années ?

Une grande satisfaction est, à chaque fois, après des années de galère, de débarquer sur un îlot bien défini, un système qu’il est possible de très bien caractériser, et permettant de faire le tri entre des théories controversées… Un exemple de bonne surprise : l’acide hyaluronique, un bio-polyélectrolyte, vérifie « naturellement » la théorie d’Odijk sur l’augmentation de rigidité d’une chaîne semiflexible par répulsion électrostatique, ce qui n’a pas été fait sur l’arsenal des polyélectrolytes synthétiques.

La plus grande découverte ? Difficile de répondre, étant plutôt pluri-obsessionnel : longueur de persistance dans les chaînes polyélectrolytes, évidence de la reptation des chaines enchevêtrées, recette pour le renforcement, complexes électrostatiques, cristallisation des protéines, mousses… évitons la liste de notice de titres et travaux. Pour la digestion, nous verrons !

. Avez-vous une question scientifique en particulier à laquelle vous aimeriez répondre et/ou qui vous semble décisive pour la communauté ?

Une seule, décisive ? Les agrégats dans les polyélectrolytes… D’autres ? Prédire vraiment le module élastique d’un gel… Ou encore une description convaincante et globale de la cinétique de digestion et du lien tube digestif-cerveau, on peut rêver !

. En quoi vous semble-t-il important de participer à un GdR comme SLAMM ? Pour vous comme pour les chercheurs de la jeune génération, doctorants et post-doctorants ?

Nous dirons toutes et tous que les GdR sont un plaisir, parce qu’ils mélangent les âges, qu’on enseigne et qu’on apprend beaucoup en une semaine, qu’on peut se parler et se connaître plus que d’habitude, que cela crée un « nouveau monde » (?). Le tout avec fluidité, sans trop de stress, bien plus efficace qu’un congrès-business, et bien agréable. Ce serait dommage de manquer cela quand on est jeune, et cela soutient le moral quand on est vieux.  SLAMM lie particulièrement bien le CNRS et l’INRAE (et d’autres bien sûr). Comme souvent, ce n’était pas évident au début, mais il a bien « pris », c’est un petit délice de plus !